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Koinonia 2020_4

Commençons notre discussion sur l’économie franciscaine en regardant quelques détails de la peinture allégorique sur la pauvreté dans la Basilique inférieure de Saint-François à Assise. La peinture est attribuée à Giotto ou mieux à l’école de Giotto et est datée vers 1334.

K O I N Ō N I A
…ensemble en chemin
CONFÉRENCE DES ASSISTANTS SPIRITUELS GÉNÉRAUX OFS-JEFRA

 

2020-4                                                                       Année 27                                                     n. 108

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LES FRANCISCAINS SÉCULIERS EN TEMPS DE GRANDS CHANGEMENTS
ÉCONOMIE FRANCISCAINE POUR LES SÉCULIERS
Fr. Alfred Parambakathu, OFMConv.

Commençons notre discussion sur l’économie franciscaine en regardant quelques détails de la peinture allégorique sur la pauvreté dans la Basilique inférieure de Saint-François à Assise. La peinture est attribuée à Giotto ou mieux à l’école de Giotto et est datée vers 1334. La scène est le mariage mystique de Dame Pauvreté avec St. François, béni par Jésus. François est refiguré donnant l’alliance à Dame Pauvreté. Mais si vous observez clairement, vous pouvez constater que la Dame Pauvreté ne garde même pas l’alliance pour elle-même, mais la donne à la vertu de l’Espérance (Spes). Ce qu’elle reçoit de sa main droite, elle donne de sa main gauche. Elle ne se réserve rien, même pas la chose la plus intime.

C’est encore une fois une particularité de l’allégorie de la pauvreté, où un jeune homme (le jeune François avant sa conversion) donne son manteau à un pauvre homme. Il répond positivement à l’invitation de l’ange de participer au mariage.

 

 

Et dans cette autre image, vous trouverez que le vêtement que le jeune homme donne aux pauvres est porté par un ange aux mains de Dieu. Vous voyez aussi un autre ange portant une maison aux mêmes mains. La maison est refigurée avec quelques terres agricoles et un arbre, fruit du travail. Ils signifient que lorsque les besoins de base (nourriture, abri, travail et vêtements) sont donnés aux pauvres, ils vont à Dieu.

 

En gardant ces trois images à l’esprit, nous entamons notre discussion sur « l’économie franciscaine pour les Séculiers ». L’objectif de notre étude est de prêter attention à la dimension relationnelle de notre vie économique et sociale dans laquelle la personne humaine est respectée dans sa dignité. Notre attention se limite à voir comment un franciscain séculier peut répondre aux défis de la crise économique actuelle, aggravée par la pandémie de COVID-19, qui a paralysé une plus grande partie des activités économiques dans le monde.

1. St. François et l’Économie

On peut se demander ce que saint François d’Assise, appelé aussi le «Poverello », (Le Petit Pauvre), peut dire de l’économie mondiale actuelle. Comment le Saint d’Assise peut-il devenir un modèle pour les laïcs dans leur vie économique? N’est-ce pas une contradiction de parler de François en relation avec l’économie ? En fait, ce n’est pas une contradiction parce que François, fils de Pierre Bernardone, avant sa conversion, était en contact avec le monde marchand de l’argent, du profit et des affaires. Beaucoup a été écrit sur le concept de frère François concernant l’utilisation de l’argent et de la propriété en relation avec sa pauvreté. Et au cours de cette décennie, beaucoup plus d’écrits sont parus en relation avec l’économie franciscaine.
Il a été démontré que déjà avant l’époque de François, l’attention était portée à la signification éthique des activités des marchands. Les « intérêts » sur un prêt, même à un taux très bas, ont été jugés comme un gain illicite et étiquetés comme le péché de « l’usure ». Il a été soutenu que chaque gain fait par l’usurier est péché, même s’il investit les profits de l’argent de prêt dans d’autres activités qui seraient licites en elles-mêmes1 . La plupart des auteurs médiévaux ont condamné la pratique de l’usure parce qu’elle représente la forme la plus extrême d’accumulation. «Ce n’est pas l’argent qui est stérile, mais une certaine façon de l’utiliser, c’est-à-dire qui n’augmente pas le bien-être commun»2.

1.1. La question de l’argent

François d’Assise est considéré comme un modèle inspirateur pour la manière franciscaine de comprendre une économie libre et fraternelle. Plutôt que de se concentrer sur des questions économiques pratiques, il indique l’expérience et les idées de François qui ont servi de toile de fond pour la réflexion sur l’économie faite par les disciples de François dans les 13è, 14è et 15è siècles. Les Écrits de frère François montrent clairement son interdiction rigide de l’argent ; (Première Règle (Rnb) II, 7; VIII, 3-12; Deuxième Règle (Rb) IV; V, 3). Nous trouvons la même attitude de François dans les sources hagiographiques où il a assimilé l’argent avec du fumier (2Celano 65-66; 77; Légende de Pérouse 30) et avec un diable ou un serpent venimeux (2C 68). Contredisant la mentalité de ceux qui supposent que tout peut être acheté avec de l’argent, François interdit à ses frères de l’accepter même comme un paiement pour leur travail. Curieusement, tout en rejetant strictement l’argent, François laisse le concept de nécessité ouvert et imprécis ; (Rb V, 3; Rnb VII, 7). Ce contraste semble indiquer que la mesure et le but du travail et de toute l’économie ne sont pas le capital, mais la personne humaine et ses besoins changeants. Par conséquent, la quantité de biens matériels que les Franciscains acceptent des amis spirituels dépend des « lieux, des saisons et des climats froids » (Rb IV, 2; Rnb II, 7) « mais ils ne devraient pas accepter d’argent ni le considérer comme nécessaire».

Les raisons de l’interdiction de l’utilisation de l’argent ne sont pas immédiatement claires, du moins pas pour nous aujourd’hui. Différentes théories avaient été proposées: que François avait une aversion personnelle pour l’argent ou les pièces de monnaie, réagissant à son passé en tant que fils d’un marchand riche; que François et ses compagnons réagissaient au système monétaire de leur société etc. Un argument plus convaincant des études contemporaines est que « François et ses frères visaient à atteindre une dimension de la vie humaine où les biens possédaient une valeur pour les êtres humains indépendante de leur mesurabilité par rapport à l’argent. Vivant selon leur Règle, sans appropriation et sans argent, ils montrent la possibilité d’une attitude radicalement différente envers le monde qui est « utilisé » pour satisfaire les besoins des êtres humains »3

1.2. Vers des solutions pratiques

Les premiers frères qui ont rejoint François étaient un don inattendu et non recherché. C’est le Seigneur qui lui a donné des frères. C’était cependant un don qui comportait de nouveaux problèmes d’organisation d’un poids considérable. Pour un groupe de personnes, en fait, la question de la nourriture et de l’habillement était un problème urgent. Les frères devraient vivre. Ils devaient donc trouver des solutions pratiques.

1.2.1. Le travail manuel

Les frères prirent alors une décision importante : ils décidèrent de se soutenir par le travail de leurs propres mains, en pratiquant la profession qu’ils avaient apprise avant de tout quitter et en rejoignant le fils de Pierre Bernardone, tant que c’était une profession qui n’était pas nuisible à la santé de l’âme, qui pouvait être exercée honnêtement4. Les frères ont continué à faire le travail qu’ils faisaient avant. Mais tous ne pouvaient pas le faire. Par exemple, le travail que François savait nécessitait une gestion continue de l’argent ; ou celui de Bernard, la principale activité des nobles, était la guerre. Mais Bernard ne voulait plus toucher les armes. Francis et Bernard ne connaissaient aucun art : ils n’étaient ni menuisiers ni maçons. Ils ont donc très probablement adopté, pour leur subsistance, le travail non qualifié de l’agriculture5. Seulement quand ils ne pouvaient pas survivre par le travail manuel, mendier l’aumône a été recommandé (Rnb VII, 8; Testament 22).

1.2.2. L’amour fraternel

La vie précaire des premiers frères en tant que « pèlerins et étrangers en ce monde », « sans rien à eux, ni maison, ni lieu, ni rien du tout » (Rb VI, 1-2) a rendu nécessaire de penser à ceux qui tombaient malades. Comment pouvons-nous subvenir aux besoins des frères malades ? La solution qu’ils ont trouvée a été l’amour fraternel et les soins – la communauté. Ainsi François écrit : «Si l’un des frères tombe malade, où qu’il se trouve, que les autres frères ne le laissent pas, à moins qu’un des frères, ou même plusieurs d’entre eux, si nécessaire, ne soient désignés pour le servir comme ils voudraient être servis eux-mêmes» (Rnb X, 1). L’accent de François était mis sur l’amour fraternel mutuel, « car si une mère aime et prend soin de son fils selon la chair, combien plus doit-on aimer et prendre soin de son frère selon l’Esprit » ; (Rb VI, 8).
Ainsi, les défis causés par le choix de vivre sans propriété, loin de la pensée socio-économique de leur époque, les premiers frères ont cherché à les résoudre par le travail manuel et en vivant en Fraternité. Il est important que tous les franciscains gardent à l’esprit ces aspects parce que, de nos jours, on pense généralement que le but principal de l’activité économique est la maximisation de la richesse et cela exclut la possibilité de relations libres et fraternelles. Le marché est conçu comme une guerre, dans laquelle chacun défend son propre intérêt sans aucune considération altruiste.

2. Les Franciscains à travers les siècles

Dès le début, les franciscains ont été impliqués dans la vie des gens de toutes conditions sociales. La famille franciscaine dans son ensemble, tout au long de son histoire de 800 ans, a contribué de manière significative aux défis sociaux et économiques des différents temps et espaces. La présente exposition au Sacro Convento d’Assise, nommée « Mostra di frontiera tra storia, sociologia, teologia ed economia » en vue de la Rencontre internationale « L’économie de Francesco », est une manifestation claire de l’engagement franciscain en faveur de l’économie (6).

2.1. Le Mont de la piété : un signe concret de l’engagement social

La croissance socio-économique qui a eu lieu en Europe depuis le XIe siècle a été interrompue au milieu du XIVe. La guerre de Cent Ans (entre l’Angleterre et la France 1335-1453), la mort noire (1348), et la crise économique (commencée à Florence en 1341) ont provoqué un déclin de 30% de la population de l’Europe occidentale (baisse de 54 à 37 millions de personnes, entre les années 1340 et 1450). Quelle a été la réponse des Franciscains ? Ils ont tenté d’éclairer cette situation économique en reprenant et en diffusant les réflexions de Pierre de Jean Olivi (1248-1298)7. Olivi a toujours souligné la dimension sociale et relationnelle des questions économiques et insisté sur la charité comme principe régulateur des relations communautaires. La communauté, dans son ensemble, est le véritable protagoniste quand il s’agit de fixer le juste prix et le profit. Celui qui accumule des richesses et donne la priorité à son propre profit sape les fondements de la vie en commun. Olivi fait une nette distinction entre l’usurier, toujours répréhensible, et l’honnête marchand. Ses idées ont ouvert la voie à la fondation du « Mont de la Piété ».

L’institution du « Mont de la Piété », dont la première fut fondée à Pérouse en 1462, fut idéalisée et diffusée par des Franciscains comme Bernardino da Feltre (1439-1494), Giacomo della Marca (1394-1476), Alberto da Sarteano (1385-1450), Jean de Capestrano (1386-1456) et beaucoup d’autres frères. Le modèle du « Mont de la Piété » est mentionné en particulier par le Pape Benoît XVI dans sa lettre encyclique Caritas in veritate (n. 65). Les Monts de la Piété sont considérés comme la « première grande institution de l’économie civile ». Cependant, il convient de noter que l’invention du Mont de la Piété, une institution prêtant de petites sommes d’argent, marque la transition des frères d’une évaluation morale de la pratique économique telle qu’exprimée dans les traités, manuels de confession, et sermons, au soutien actif d’un établissement de crédit. Bien que la gestion du Mont soit confiée à la communauté civique, les frères mènent des campagnes de prédication en faveur de leur fondation et de leur financement, rédigent leurs statuts et défendent la nouvelle institution contre les critiques extérieures.

Depuis leurs débuts dans la seconde moitié du XVe siècle, les Monts ont été organisés selon deux modèles différents. Certaines fondations facturaient un montant fixe supplémentaire (généralement autour de 5% sur une base annuelle). D’autres Monts, au contraire, ne prévoyaient aucun excédent. Le premier modèle a fait l’objet de vives attaques de la part de membres d’autres ordres religieux (Dominicains et Augustiniens) qui les accusaient d’institutionnaliser l’usure même si les Monts prétendaient la combattre. Les partisans de la nouvelle institution ont répliqué que l’excédent ne pouvait pas être considéré comme un taux d’intérêt usuraire, mais qu’il s’agissait plutôt d’une participation aux coûts d’entretien de l’institution. Les Monts méritaient d’être soutenus, car – pensaient donc leurs défenseurs – grâce à cette institution, les « plus pauvres parmi les pauvres » pouvaient être soulagés de leurs difficultés et ne risquaient pas de tomber en proie à la cupidité des véritables usuriers, qui étaient principalement identifiés avec des prêteurs juifs. Les accents fortement anti-juifs de la propagande franciscaine en faveur des Monts, en plus de déclencher des attaques et des persécutions des communautés juives, sont très controversés parmi les chercheurs actuels (8).

2.2. Les Franciscains Séculiers des temps modernes

Dans les temps modernes, le modèle franciscain de l’économie souligne l’importance des valeurs communautaires, relationnelles et éthiques. Des Franciscains séculiers comme Frédéric Ozanam (1813-1853), Léon Pierre Louis Harmel (1829-1915), Giuseppe Tonino (1845-1918), Giuseppe Tovini (1842-1897) et Eurosia Barban (1866-1932) ont tous contribué, à leur manière, à la tradition franciscaine de la vie socio-économique9. Les nouvelles initiatives comme la « Banque des Pauvres » (Grameen Bank) fondée par Muhammad Yunus (originaire du Bangladesh et lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2006), l’Économie de la Communion (EoC) fondée au Brésil, en 1991, par Chiara Lubich (elle-même franciscaine séculière) reprennent la tradition franciscaine, qui défend la nécessité d’une union étroite entre les vertus personnelles du marchand et l’utilité sociale de son travail.

2.3. L’actuelle Règle de vie des Franciscains Séculiers

Toute la tradition évangélique et franciscaine sur l’économie est magnifiquement synthétisée dans la présente Règle des franciscains séculiers. Nous lisons dans Art. 11 : «Le Christ, confiant dans le Père, a choisi pour Lui et pour sa Mère une vie pauvre et humble, tout en manifestant pour le monde créé une attention pleine d’estime et de respect ; de même, les Franciscains séculiers useront avec modération des biens temporels, en simplifiant leurs exigences matérielles, bien conscients que, selon l’Évangile, ils sont les administrateurs des biens reçus pour les fils de Dieu. Ainsi, dans l’esprit des “Béatitudes”, comme “pèlerins et étrangers” en route vers la maison du Père, ils veilleront à se purifier le coeur de toute tendance et désir de possession et de domination». Ici se trouvent toutes les composantes de base de la spiritualité franciscaine. Essayons de vivre dans cet esprit !

3. « L’Économie de Francesco »

Quelques noms frappent à nouveau autour du monde : St. François, le Pape François, les jeunes économistes et Assise. Tout cela en raison de l’événement international, « L’économie de Francesco », qui s’est déroulé à Assise du 19 au 21 novembre 2020. Plus d’un événement historique, c’est un mouvement qui a impliqué plus de 3.000 jeunes économistes et entrepreneurs de 115 pays et mené plus de 300 réunions préparatoires à travers le monde. Comme l’indique la page Web officielle, « L’économie de Francesco est un mouvement de jeunes avec des visages, des personnalités et des idées, qui est présent et se développe dans le monde entier afin de changer l’économie actuelle et de donner une âme à l’économie de demain »10. Il s’agit d’un pas en avant dans l’esprit de « Laudato Sì », selon lequel une nouvelle écologie n’est possible qu’avec une nouvelle économie – si nous n’avons qu’une « maison commune » alors une « écologie intégrale » n’est pas possible sans une « économie intégrale ». Maintenant, plus que jamais, nous sentons que tout est connecté : l’environnement, l’économie et les êtres humains. Il est également remarquable que l’année prochaine, l’Italie accueillera « Youth 4 Climate » en partenariat avec l’Angleterre en vue de la CoP 26.

3.1. Les Pauvres au centre

Le pontificat de François, dès le début, a placé au centre les « pauvres » et la « périphérie ». Dans l’encyclique Evangelii gaudium, qui est considérée comme la « Magna Carta » du Pape François, il dit : « Nous devons affirmer, sans mâcher nos mots, qu’il existe un lien inséparable entre notre foi et les pauvres. Puissions-nous ne jamais les abandonner » (EG 48). L’Église ne doit pas être « un groupe égocentrique composé de quelques élus » (EG 28), mais doit être capable d’aller à la périphérie, même au risque de se salir. Il déclare clairement :

« Je préfère une Église, blessée, endolorie et sale pour être sortie dans les rues, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie. Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » (EG 49).

C’est à la lumière de ces paroles que les franciscains séculiers doivent interpréter et trouver de nouvelles significations pour leurs préoccupations économiques, tant dans leur vie personnelle que sociale. Dans sa nouvelle encyclique Fratelli Tutti, signée sur le tombeau de saint François, le Pape réaffirme sa position en faveur des pauvres :

« … Si l’on accepte le grand principe des droits qui découlent du seul fait de posséder la dignité humaine inaliénable, il est possible d’accepter le défi de rêver et de penser à une autre humanité. On peut aspirer à une planète qui assure terre, toit et travail à tous. C’est le vrai chemin de la paix, et non la stratégie, dénuée de sens et à courte vue, de semer la peur ou la méfiance face aux menaces extérieures. En effet, une paix réelle et durable n’est possible « qu’à partir d’une éthique globale de solidarité et de coopération au service d’un avenir façonné par l’interdépendance et la coresponsabilité au sein de toute la famille humaine » (127).

Étonnamment, nous retrouvons les mêmes thèmes que dans la peinture de « l’Allégorie de la Pauvreté » de Giotto que nous avons examinée au début de notre étude – terre, maison, travail – et « vêtement » peut être considéré comme un plus dans Giotto.

3.2. La communauté comme un antidote contre l’isolement

L’un des thèmes particuliers de l’événement international, « Économie de Francesco », a été l’importance des communautés locales pour guider la vie des personnes qui souffrent autrement de l’isolement. Le récent rapport de la Commission européenne sur l’impact des changements démographiques souligne que les gens vivent de plus en plus seuls et que le problème est particulièrement aigu dans les villes : 40% à Milan; 50% à Paris; 60% à Stockholm. À mesure que la population européenne vieillit, de plus en plus de personnes âgées vivront seules, en particulier les femmes, étant donné leur espérance de vie plus longue11. Raghuram Rajan, dans un entretien avec Elena Molinari, fait pour l’Economie de Francesco, parlant du pouvoir des communautés locales, dit que chaque infrastructure construite au niveau national devrait se concentrer sur la connexion des communautés comme son centre. « Les Eglises ont toujours joué un rôle énorme dans l’édification de la solidarité et le déclin du nombre de fidèles l’a affaiblie. Il est important de renforcer les organisations historiques, mais aussi de trouver de nouvelles façons de se réunir. L’une des maladies les plus difficiles de l’ère moderne est la solitude : 27% des personnes âgées aux Etats-Unis vivent seules et n’ont nulle part où se retrouver… La communauté doit offrir un antidote » (12).

Une fois de plus, c’est un rappel pour les Franciscains séculiers de renforcer les Fraternités locales en réponse à la crise socio-économique du monde actuel. C’est ce que saint François recommandait à ses frères devant des frères malades.

4. Quelques solutions pratiques

En proposant ce qui suit, nous avons également pris en considération la Déclaration Finale de « l’Économie de Francesco » et l’avons adaptée, en examinant la situation de vie des membres de l’OFS:

– Protégeons les biens communs en protégeant l’atmosphère, les forêts, les rivières, les terres, les ressources naturelles, la biodiversité et les semences.

– Il ne faut jamais offenser ou rejeter les pauvres, les malades, les minorités et les personnes défavorisées de toutes sortes, car la première réponse à leur pauvreté est de respecter et d’estimer chaque personne.

– Veiller à ce que chaque travailleur au service de nos foyers ou de nos bureaux reçoive un salaire décent et soit garanti par les politiques sociales de chaque pays.

– Essayons de savoir où va notre argent lorsque nous investissons dans une banque. Comment utilisent-ils mon argent? Les banques que je soutiens doivent investir mon argent dans des projets sociaux. La fin est importante.

– Essayons de financer et d’aider les projets qui vont aux pauvres, aux villages et aux femmes.

– Engageons-nous à fournir une éducation de qualité à chaque fille et garçon dans le monde, car le capital humain est le premier capital de l’humanisme.

– Que les JeFra font leurs ces paroles : « Nous, les jeunes, ne pouvons plus tolérer qu’on enlève des ressources aux écoles, aux soins de santé, à notre présent et à notre avenir pour construire des armes et alimenter les guerres nécessaires pour les vendre. Nous aimerions dire à nos enfants que le monde en guerre est fini pour toujours. »

– Comme nous le dit toujours la tradition franciscaine, accordons d’abord plus d’attention aux membres âgés de nos fraternités et à ceux qui nous entourent. Le thème annuel proposé par la Commission Famille pour l’année 2021 envisage cette idée.

Nous concluons avec les paroles inspirantes du Pape François, adressées dans un message vidéo aux participants de « L’Économie de Francesco » : « Nous devons accepter structurellement que les pauvres ont suffisamment de dignité pour assister à nos réunions, participer à nos discussions et apporter du pain à leurs propres tables. Il s’agit de bien plus que d’« aide sociale » ou du « bien-être », mais de la conversion et de la transformation de nos priorités et de la place des autres dans nos politiques et dans l’ordre social… L’approche du développement humain intégral est une bonne nouvelle à proclamer et à mettre en pratique. »13

 

NOTES:

1 Cf. R. LABERTINI, Francesco, i suoi frati e l’etica dell’economia: un’introduzione, Spoleto 2020, pp.2-3
2 R. LABERTINI, Francesco, i suoi frati., 9.
3 R. Labertini, Francesco, i suoi frati., 5.
4 Cf. La Première Règle (Rnb), VII,3. Pour une idée générale sur le travail manuel, cf. F. ACCROCCA, I frati e il lavoro manuale dalle origini al secondo duecento: un percorso attraverso gli «scritti» e le Fonti biografiche, in L’identità complessa. Percorsi francescani fra Due e Trecento, Padova 2014, 125-149.

5 « … ils allaient très souvent aider les pauvres dans leurs champs, et parfois ces gens leur donnaient du pain pour l’amour de Dieu » (La Compilation d’Assise, 56).

6 Le texte de l’exposition a été publié comme Economia Fraterna; Paternità di Dio e fraternità universale-cosmica, Assise, 2020.

7 Il était l’un des frères les plus austères et appartenait au mouvement des « spirituals » qui défendaient une observance rigide et intégrale de la Règle et du Testament de frère François. Les propositions rigoureuses d’Olivi pour la vie religieuse ont été expressément condamnées par le Chapitre général franciscain de 1282. Des années plus tard, en 1319, le Pape Jean XXII a également condamné le mouvement des Spirituels.

8 R. LABERTINI, Francesco, i suoi frati., 14-15. Pour une étude détaillée sur la perspective franciscaine de l’économie, je vous invite à lire, NÚŃEZ M.C, A Free and Fraternal Economy. The Franciscan Perspective, Arizona, 2017 : O. BAZZICHI, La povertà pensata : Punto d’appoggio del pensiero francescano per una società conviviale, Rome 2017. Rappelons que finalement le V° Concile de Latran, par le décret Inter Multiplices (4 mai 1515), sanctionna officiellement l’organisation du crédit des Monts de Piété.

9 Pour une étude approfondie sur ce, cf., F. AUTIERI, I Francescani seculari nel sociale “dal Vangelo alla vita e dalla vita al Vangelo” in Economia Fraterna; Paternità di Dio e fraternità universale-cosmica, Assisi, 2020, pp. 90-97.

10 www.francescoeconomy.org.

11 D. ŠUICA and P. GENTILONI, È il momento di spezzare le spirali della solitudine in Avvenire, Sunday 22 November 2020, p. 3

12 L’interview a été publiée dans Avvenire, dimanche 22 novembre 2020, p. 17. Raghuram Rajan était le directeur du Fonds monétaire international (FMI) et le gouverneur de la Banque de réserve de l’Inde. Il est l’auteur du livre Le troisième pilier, dans lequel il présente un moyen de repenser la relation entre le marché et la société civile et plaide pour un retour au renforcement et à l’autonomisation des communautés locales comme antidote au désespoir et à l’agitation croissants.

13 www.francescoeconomy.org